Le sens commun



L’Art à l’état vif

La pensée pragmatiste et l’esthétique populaire
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Noille


1992
Collection Le sens commun , 272 pages
ISBN : 9782707314048
26.50 €


Proposer une théorie esthétique qui reprenne les méthodes et les enseignements de la philosophie pragmatiste, telle est l’ambition de cet ouvrage qui, tout en adhérant à une conception unitaire de l’art, porte une attention plus particulière aux arts populaires et à la culture des mass médias.
En situant les thèses pragmatistes sur l’art par rapport à une autre tradition de pensée anglo-saxonne, l’esthétique analytique, il s’agit ici d’exploiter le potentiel démocratique et progressiste du pragmatisme. Car, si la culture populaire américaine est indéniablement mieux connue en France que la philosophie de ce pays, les réflexions qui tentent de la prendre en compte restent l’apanage des journaux. La philosophie universitaire reposant quant a elle sur des présupposés trop conservateurs pour comprendre l’art populaire et voir dans une esthétique pragmatiste autre chose qu’une inconséquence conceptuelle définie en effet par le désintéressement et l’absence de finalité, comment l’esthétique pourrait-elle à ses yeux relever de la pratique ? Rapprocher alors l’esthétique de la sphère de la praxis, rompre l’identification restrictive de l’art aux seuls beaux-arts, et reconsidérer la notion d’art en libérant celui-ci du carcan qui le sépare de la vie, c’est à la fois défendre la légitimité esthétique de l’art populaire et concevoir l’éthique comme un art de vivre.
L’esthétique pragmatiste se doit aussi d’éviter l’abstraction propre au discours philosophique traditionnel, en avançant à travers l’étude d’œuvres d’art concrètes. Prendre comme lieux privilégiés de ce parcours théorique un poème de T. S. Eliot et un disque de rap et unir ainsi, dans un même livre, l’avant-garde et le hip-hop est assez emblématique d’un idéal socioculturel post-moderne, ou l’art soi-disant noble et l’art prétendument vulgaire trouveraient une légitimité en dehors de toute hiérarchie oppressive et s’offriraient dans l’expérience à l’état vif.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑


Préface à l’édition française – Préface – 1. Situation du pragmatisme – 2. L’art et la théorie entre expérience et pratique – 3. L’idéologie esthétique, l’éducation esthétique et la valeur de l’art dans la critique – 4. Forme et funk : le défi esthétique de l’art populaire – 5. L’art du rap – 6. L’éthique post-moderne et l’art de vivre.

‑‑‑‑‑ Extraits de la préface ‑‑‑‑‑

Le titre de ce livre peut laisser perplexe : la notion d’esthétique pragmatiste semble à première vue fortement paradoxale. La pragmatique n’est-elle pas impérativement liée à la pratique, à laquelle précisément s’oppose l’esthétique quand on la définit par le désintéressement et l’absence de finalité ? Un des objectifs de ce livre est de résoudre le paradoxe et de supprimer l’opposition traditionnelle entre pratique et esthétique, en étendant notre conception de l’esthétique hors des limites que lui ont assignées l’idéologie dominante de la philosophie et de l’économie culturelle. L’esthétique apparaît bien plus riche de significations si l’on admet qu’en embrassant la pratique, en reflétant et en informant la praxis, elle concerne aussi le social et le politique. L’élargissement et l’émancipation de l’esthétique impliquent, parallèlement, que l’on reconsidère la notion d’art en libérant celui-ci du carcan qui le sépare de la vie et des formes plus populaires d’expression culturelle. L’art, la vie et la culture populaire souffrent aujourd’hui de cette identification restrictive de l’art aux seuls beaux-arts. Si je défends la légitimité esthétique de l’art populaire et si j’analyse l’éthique comme un art de vivre, c’est pour tendre vers une définition plus démocratique de l’art.

Christian Delacampagne (Le Monde, 31 janvier 1992)

Une esthétique du hip-hop
 
« Depuis un siècle, l’art court très vite. Les philosophes inventent des esthétiques pour essayer de le rattraper mais, jusqu’ici, l’art ne s’est pas laissé prendre. L’échec de la philosophie anglo-saxonne, de ce point de vue, n’est pas moins clair que celui de la philosophie continentale. Certes, deux esthétiques dominent, au vingtième siècle, la tradition analytique : celle de Nelson Goodman et celle d’Arthur Danto. Mais ni l’une ni l’autre n’échappent à un certain formalisme.
Un autre philosophe américain, Richard Shusterman, a tenté de conjurer ce mauvais sort. L’art moderne, selon lui, y compris dans ses formes les plus populaires, voire les plus commerciales, mérite mieux que le relatif mépris que lui vouent nombre d’intellectuels. Seulement, pour ne pas perdre toute chance de saisir le contenu philosophique d’une œuvre d’art, il faut commencer par ne pas l’enfermer dans un cadre formel trop rigide. C’est la raison pour laquelle Shusterman, rejetant la problématique analytique forgée par Wittgenstein et Goodman, puise son inspiration dans un autre courant, spécifiquement américain, mais peu influent aux États-Unis, et pratiquement inconnu en Europe : le pragmatisme.
Issu des réflexions de James et de Peirce, le pragmatisme a eu, dans la première moitié de notre siècle, un représentant important en la personne de John Dewey. Ce dernier jeta en 1934 les bases d’une réflexion esthétique dans un ouvrage, intitulé L’Art comme expérience, qui fut, à sa sortie, salué par Adorno, exerça une certaine influence sur des peintres comme Pollock, mais demeura pratiquement sans postérité. Approfondir les intuitions de Dewey et développer une véritable esthétique pragmatiste : telle est, en substance, l’ambition de Shusterman.
L’Art à l’état vif, qui sort simultanément (une fois n’est pas coutume) en France et aux États-Unis, s’efforce donc de montrer que l’art est, de part en part, immergé dans l’histoire des hommes, qu’on ne saurait soumettre la création à aucune norme a priori, que l’œuvre ne peut se définir que par l’expérience spécifique qu’elle suscite chez celui qui la perçoit, que le but de l’art est de changer la vie et celui de la philosophie d’aider l’art à évoluer et à se remettre en question. À ces thèses, qui ne sont pas vraiment nouvelles bien qu’elles aient été largement négligées depuis un demi-siècle, Shusterman sait donner, avec brio, une tournure convaincante.
Mais la partie la plus originale de son livre réside incontestablement dans l’analyse qu’il propose de certaines formes d’art populaire moderne, en particulier du rock’n’roll et de la culture hip-hop. Les cinquante pages qu’il consacre à “ l’art du rap ”, à l’élucidation de son message politique et de ses singularités esthétiques (récupération de musiques plus anciennes, pratique du collage, travail sur la répétition) sont si vivantes et judicieuses qu’elles justifient à elles seules la lecture de l’ouvrage.
Il est tellement rare aujourd’hui qu’un philosophe soit attentif au monde réel autour de lui et ne considère pas systématiquement les jeunes avec condescendance, que le travail de Shusterman, s’il persiste dans la même voie, pourrait effectivement finir par promouvoir une nouvelle esthétique, libérée du carcan des modèles structuraux et de l’obsession formaliste. »

 





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