Documents


Pierre Vidal-Naquet

L’Affaire Audin

(1957-1978)
Préface de Laurent Schwartz


1958
Collection Documents , Nouvelle édition augmentée, 1989, 192 pages
ISBN : 9782707313171
10.50 €


Le 11 juin 1957, Maurice Audin, mathématicien, assistant à la faculté des sciences d’Alger, membre du Parti communiste, était arrêté par les parachutistes du 1er R.C.P. Le 21 juin, selon ses gardiens, il se serait évadé. Nul ne l’a plus revu vivant et Henri Alleg, l’auteur de La Question, fut un des derniers à l’avoir vu pendant sa détention, alors qu’il venait d’être torturé. Jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie et au-delà, face à la justice, les auteurs de ce rapt maintinrent, général Massu en tête, qu’Audin s’était effectivement évadé. Un comité Audin se constitua à Paris et décida de faire une enquête. En mai 1958, Pierre Vidal-Naquet, dont ce fut le premier travail historique, publiait, aux Éditions de Minuit, L’Affaire Audin. Il y démontrait que l’évasion était une imposture et émettait l’hypothèse qu’une comédie avait, effectivement, été jouée, dans laquelle un officier de parachutistes avait joué le rôle principal. Quant à Maurice Audin, il était mort au cours d’une séance de tortures. Il n’était pas un musulman que l’on pouvait passer par profits et pertes, il fallut bien camoufler sa mort.
L’enquête judiciaire, menée d’abord à Alger, fut transférée à Rennes, où fut jadis jugée l’affaire Dreyfus, et se prolongea jusqu’en 1962. Dans le présent livre, l’ouvrage de 1958 est réimprimé intégralement, avec quelques précisions supplémentaires. Pierre Vidal-Naquet a eu accès non seulement aux dossiers des enquêtes successives, mais aux archives conservées sur cette affaire au ministère de la justice. Ces archives permettent, pour la première fois, de faire l’histoire de l’affaire, avant le délai habituel de cinquante ans. On verra donc non seulement comment Audin a disparu, comment l’enquête confirma l’hypothèse de 1958, mais surtout comment l’autorité judiciaire, du juge d’instruction au ministre, en passant par les procureurs généraux, réussit à éviter que ce crime soit jamais jugé. Ce livre est donc l’histoire tout à la fois d’un meurtre et d’un déni de justice. Le meurtrier, un lieutenant de l’armée française, qui étrangla Maurice Audin le 21 juin dans l’après-midi, prit sa retraite comme colonel, en 1981, avec le grade de commandeur de la Légion d’honneur. L’affaire Audin ne fût pas l’affaire Dreyfus et la vérité ne triomphe pas, mais elle fut, en un sens, plus : le révélateur d’une société démocratique en crise. Par-delà la guerre d’Algérie, la mort d’Audin nous interpelle encore aujourd’hui.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

Au lecteur

Disparition

L’Affaire Audin : Préface de Laurent Schwartz – I. La disparition de Maurice Audin – II. Les enquêtes – III. L’évasion. Bulletins et rapport – IV. Une hypothèse

Chronique d’un déni de justice

ISBN
PDF : 9782707324450
ePub : 9782707324443

Prix : 7.49 €

En savoir plus

René-William Thorp, Ancien Bâtonnier de l’Ordre des Avocats, (Le Monde, 1958)

« Grâce à ce livre, d’une parfaite clarté, tous les milieux sociaux se trouveront informés. Réagiront-ils ? Leur réflexe nous instruira sur le sort du régime républicain. Si l’opinion publique exige la vérité, c’est qu’elle connaît encore le prix de nos libertés, et nos libertés vaincront. Si elle reste silencieuse, c’est qu’elle demeure indifférente à leur sauvegarde, et nos libertés auront vécu. »

Daniel Mayer (L’Express, 1958)

« Lorsqu’on écrira plus tard l’histoire de notre temps, un ouvrage comme celui-ci, aujourd’hui frappé d’anathème, partagé entre la réprobation attendue des uns et le silence étonnant des autres, décrié par ceux-là mêmes qu’il devrait délivrer d’une fausse solidarité, tu par ceux qui ne connaissent que prudence ou tactique, sera, comme le comité Audin lui-même, l’un des gestes qui feront pardonner à un pays et à une époque les erreurs et les crimes qu’on eût, sans eux, imputés sans discrimination à tout un peuple et à tout un siècle. »

Jean-Maurice de Montremy (La Croix, 25 novembre 1989)

L’Algérie trente ans après
L’Algérie reste un refoulé français. Deux livres de Pierre Vidal-Naquet en font la preuve.
 
« Si vous pensez que la guerre d’Algérie ne vous intéresse pas, si vous ressentez l’incuriosité qui nous vient souvent devant les thèmes désagréables – on grogne : “ à quoi bon tout ça ! ”, et l’on passe son chemin –, lisez donc L’Affaire Audin. Lorsqu’il l’écrivit en 1958, Pierre Vidal-Naquet n’était pas l’helléniste de renom que nous connaissons. Il signait “ agrégé d’histoire ”. Et traitait d’un sale sujet : la torture.
Rappelons les faits. Le 11 juin 1957, un jeune mathématicien de vingt-cinq ans, Maurice Audin, membre du Parti communiste algérien, est arrêté à son domicile par des parachutistes du 1er RCP. Ceux-ci le conduisent dans un “ camp de triage ”. Dix jours plus tard, le 21 juin, on apprend qu’il se serait évadé – mais pour ne plus jamais reparaître. Grâce à l’énergie de sa femme, dont il avait trois enfants, des intellectuels s’inquiètent. Car tout laisse penser que cette “ évasion ” tient de la mise en scène : comme beaucoup d’autres, Maurice Audin n’a pas survécu aux interrogatoires très spéciaux des militaires. L’un des officiers (on ne l’apprendra que plus tard) l’a sans doute étranglé dans un accès de rage. Restait à maquiller la “ bavure ”. L’évasion prétendue efface tout. Comme le dit Pierre Vidal-Naquet, il y a crime sans cadavre. Trente ans plus tard, les restes de Maurice Audin n’ont toujours pas été retrouvés.
Dans son livre de 1958, Pierre Vidal-Naquet – rompant avec une certaine tradition grandiloquente des protestataires – choisissait d’être sobre, retenu, méthodique. Il y reprend les faits, démonte le jeu de témoignages et de contre-témoignages. Si la grande maîtrise de son texte n’exprimait une passion sublimée, l’on pourrait presque dire qu’il veut être froid. Pas d’injures, pas d’anathèmes, pas de trémolos. La qualité du livre, la qualité de ceux qui formèrent le comité Audin dénonçant, toute la guerre durant, la torture, permirent progressivement d’éveiller les consciences.
Mais ce n’est peut-être pas uniquement cela qui nous intéresse aujourd’hui. Pierre Vidal-Naquet, en effet, insère ce premier texte dans une présentation historique nourrie par trente années de réflexion. Il replace, en prélude, l’affaire au cœur d’autres scandales de la torture. Mais surtout il poursuit, en troisième partie, son enquête, et montre comment aucun jugement ne fut jamais rendu. De reports en non-lieux, de renvois en amnisties (dont la dernière date du gouvernement Mauroy), tout s’ensable dans les méandres de la justice. Les officiers tortionnaires ont suivi leur carrière, plus ou moins heureuse. Les magistrats, attentifs à se hâter avec la plus extrême lenteur, ont connu les honneurs. Audin reste un mort sans corps, image même de notre “ désintérêt ” pour la guerre d’Algérie.
Bref, nous découvrons ici un drame tristement impeccable. Les calculs politiques, les solidarités militaires, les solidarités judiciaires, la paresse de l’opinion, s’allient pour qu’il ne se passe rien. Et tout le talent de l’historien, déployé dans sa remarquable introduction pour Face à la raison d’État (La Découverte, 1989) consiste à nous faire comprendre en quoi ce “ rien ” nous en apprend beaucoup sur la période 1957-1962. Car notre vrai tourment algérien n’est plus politique : on peut analyser aujourd’hui les positions et l’évolution des partis et gouvernements successifs – Vidal-Naquet le fait avec finesse dans les articles que réunit sa Raison d’État. On peut faire le point sur les erreurs des partisans de l’indépendance et sur leur naïveté face au FLN. On peut décrire l’impasse et le drame des pieds-noirs. On peut suivre les noirceurs du régime Boumediene ou du régime Chadli. Mais on n’a toujours pas envie de penser la torture.
Car la torture apparaît au fur et à mesure que l’armée française se confond entièrement à la cause des pieds-noirs pour qui la subversion semble toute proche, insidieuse. Comme la Terreur, cette torture s’exerce non contre l’autre mais contre le frère-ennemi. Elle devient aussi le fait des mouvements indépendantistes algériens entre eux. Elle sera, lors de l’O.A.S., pratiquée par des militaires ou policiers français contre d’anciens tortionnaires français, militaires ou policiers – devenus maintenant à leur tour torturés. Elle se poursuivra sous Ben Bella et Boumediene entre les diverses factions d’Algérie.
C’est ce dossier-là que nous ne voulons pas rouvrir. II est bon que Pierre Vidal-Naquet le fasse, sans esprit de parti et sans haine des personnes. »

 

Du même auteur

Livres numériques

Voir aussi

* Du bon usage de la trahison , préface à La Guerre des Juifs, de Flavius Josèphe (Minuit, 1977).
* Flavius Arrien entre deux mondes postface à Histoire d’Alexandre. L’Anabase d’Alexandre le Grand, d’Arrien (Minuit, 1984).
* Karl Jaspers, La Culpabilité allemande. Préface de Pierre Vidal-Naquet.




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