« Double »


Christian Gailly

L'Incident 


2009
256 p.
ISBN : 9782707320698
7.90 €
* Première publication aux Éditions de Minuit en 1996.


Elle n'avait pas prévu qu’on lui volerait son sac à la sortie du magasin. Encore moins que le voleur jetterait le contenu dans un parking. Quant à Georges, s’il avait pu se douter, il ne se serait pas baissé pour le ramasser.

Alain Resnais a adapté ce roman sous le titre Les Herbes folles.

Entretien avec Alain Resnais

Comment avez-vous choisi de porter à l’écran le roman de Christian Gailly L’Incident ?

Le producteur Jean-Louis Livi m’avait demandé de tourner un film pour lui. Au départ, il était convenu que ce serait l’adaptation d’une pièce de théâtre. J’avais déjà lu une trentaine de pièces quand je suis tombé par hasard sur un roman de Christian Gailly, un écrivain dont la voix charmeuse, ironique et mélancolique m’avait frappé dans une émission d’Alain Veinstein sur France Culture. J’ai été séduit par ce roman au point d’en lire immédiatement un autre et de téléphoner le lendemain à Jean-Louis Livi pour lui dire : « Ce son, cette blue note que nous cherchons depuis des semaines, je viens peut-être de la trouver. » L’écriture de Gailly est si musicale que je me suis aperçu que, si je parlais à quelqu’un après avoir terminé un de ses livres, je me mettais à m’exprimer comme ses personnages. Ses dialogues sont comme des solos ou des numéros de duettistes qui n’attendent que des comédiens pour les dire. Irène Lindon, la directrice des Éditions de Minuit qui ont publié les treize livres de Gailly, nous a appris que les droits cinématographiques de douze d’entre eux étaient disponibles. J’ai donc demandé à rencontrer Gailly. Il m’a donné toute liberté pour le choix du livre que je tournerais, puisque je n’en avais encore lu que quatre, mais il s’est montré inquiet à l’idée que le film bouleverse son emploi du temps car il tenait à consacrer toutes ses forces au roman qu’il était en train d’écrire. Je lui ai donc timidement proposé de ne jamais le déranger, de ne lui demander ni des scènes supplémentaires ni son avis sur l’adaptation ou le choix des comédiens, et de ne lui montrer le film que sous la forme d’une copie standard qu’il approuverait ou non. J’ai vu alors un grand sourire apparaître sur son visage. Les jours suivants, j’ai lu les romans qu’il me restait à découvrir, et j’ai proposé à Jean-Louis Livi de porter à l’écran L’Incident, auquel il avait déjà pensé de son côté. Ce livre était plus cher que d’autres à filmer, mais Livi, avec l’aide de la productrice exécutive Julie Salvador, a considéré que nous pouvions tenter l’aventure.

 

Qu’est-ce qui vous séduisait particulièrement dans L’Incident ?

J’y ai senti un côté syncopé, comme improvisé, un art de la variation sur des « standards », au sens musical du terme. J’ai aussi été marqué par l’entêtement de Georges Palet et Marguerite Muir, les protagonistes, qui sont incapables de résister à l’envie d’accomplir des actions irrationnelles, qui déploient une vitalité incroyable dans ce que l’on peut considérer comme une course à l’erreur. L’Incident parle du « désir de désir » (la formule est de Livi), ce désir qui naît chez Georges à partir de rien, avant même qu’il ait rencontré Marguerite ou qu’il lui ait parlé au téléphone, puis qui s’alimente de lui-même.

 

Pourquoi avez-vous donné pour titre au film Les Herbes folles ?

Cela me semblait correspondre à ces personnages qui suivent des pulsions totalement déraisonnables, comme ces graines qui profitent d’une fente dans l’asphalte en ville ou dans un mur de pierre à la campagne pour pousser là où on ne les attend pas.

 

Vous êtes resté fidèle au dialogue du roman.

Oui, bien sûr, puisque c’est ce dialogue qui m’attirait. De toute façon, Gailly nous a servi de référence du début à la fin, c’était notre diapason pour essayer de garder le ton juste. Que ce soit André Dussollier, Sabine Azéma, Anne Consigny, Emmanuelle Devos, Mathieu Amalric ou Michel Vuillermoz, les comédiens (j’aimerais les citer tous) ont lu avec passion plusieurs de ses livres et cela a stimulé leur créativité. Pour moi, c’était le bonheur ! Le même phénomène s’est produit avec les techniciens. Quand nous devions trouver une solution à un problème donné, c’était l’ensemble de l’œuvre de Gailly qui nous l’inspirait. Au tournage, nous avons cherché des équivalences au style de Gailly, à cette façon d’interrompre une phrase en plein milieu par un point, aux fluctuations du narrateur interprété par Edouard Baer qui se reprend ou se corrige, sans oublier les contradictions flagrantes des personnages et de leurs pulsions successives. Gailly met souvent l’affirmation et la négation dans la même phrase, donc en écrivant l’adaptation avec Laurent Herbiet, nous avons tenté de concevoir un découpage technique qui se rapproche de cette dualité, qui fasse coexister le oui et le non dans les collures et dans le jeu des acteurs. Tous ces choix se sont faits naturellement, avec entrain, et sans plan préconçu puisque je tourne pour voir comment ça va tourner. Le décorateur Jacques Saulnier et le chef opérateur Éric Gautier, qui étaient là dès le premier jour, ont travaillé dans la même direction. Dans un décor, il y a une touche de couleur, elle est arrêtée là, comme un coup de pinceau, on passe à une autre couleur. Gautier n’a pas hésité à utiliser la couleur sans mélanger les teintes. Les couleurs se succèdent, sans transition, elles ne se fondent pas. Et le compositeur Mark Snow a cherché des effets de rupture, de syncope, en employant des styles musicaux très différents d’une scène à l’autre. Lorsqu’on a un guide comme Gailly, il suffit de se laisser porter.

 

Extraits d’un entretien avec François Thomas.

 

ISBN
PDF : 9782707327574
ePub : 9782707327567

Prix : 7.49 €

En savoir plus

Jean-Claude Lebrun (L'Humanité, 30 août 1996)

« Tout pilote connaît la consigne : après chaque vol, il faut remplir le livre de bord. “ Remplir le livre de bord ”, telle est donc, en bonne logique, la dernière phrase d'un roman qu'on découvre étonnamment semblable à un numéro de voltige aérienne, avec préparation au sol, envol, figures et atterrissage en finesse. Un art de l'arabesque que Christian Gailly cultive avec une virtuosité croissante. De la même façon qu'on le voit de plus en plus fréquemment dessiner ses volutes autour du thème de la rencontre entre un homme et une femme. Dans Les Fleurs, cela se passait au long de deux monologues intérieurs, dans une rame du RER B. Dans Be-Bop, l’affaire se nouait au bout d'un jeu d'affinités électives, au bord du lac Léman. Cette fois, le récit suit les règles du pilotage aérien. Christian Gailly en calque les différentes phases, qu'il cite régulièrement, à partir du manuel. Huit au total, venant rythmer l'histoire d'une lente approche, avant un arrachement libérateur. Une opération conduite avec la maestria souriante d'un as de la phrase en dérapage ou en suspens. Jamais avare d'une acrobatie. (…) Comment, une fois posés les éléments contradictoires et hétérogènes d'un système, avec deux personnages étrangers au possible, les faire peu à peu coïncider et agir en même temps (...). Donner la semblance de la plus haute nécessité à ce qui se présentait d'abord comme disparates métamorphoser tout cela en une histoire criante d'évidence, tel est en effet le pari une nouvelle fois brillamment tenu par Christian Gailly. »

Gaëlle Bayssière (L’Express, 7 novembre 1996)

L'amour dans les nuages
Il faut tout le talent de Christian Gailly pour faire d'une rencontre un roman d'amour de haute voltige
 
« Christian Gailly a enfin écrit son grand roman d'amour ! Un amour où la pudeur le dispute aux sentiments et où il faut attendre la page 243 pour qu'enfin s'échange un long baiser tendre. Mais une romance tout de même, en forme de valse-hésitation, que l'écrivain orchestre d'une cabine de pilotage.
Le début d'une histoire d'amour est toujours hasardeux. Une belle jeune femme au regard triste et omniscient est victime d'un incident banal : le vol de son sac à main. Un homme vieillissant se baisse pour ramasser un portefeuille sur le parking d'un supermarché. Ces deux événements vont provoquer une collision : celle de deux personnes qui n'avaient aucune chance de se rencontrer.
On retrouve là l'un des ressorts dramatiques chers à Christian Gailly. L'idée d'une course asymptotique dans laquelle sont engagés un homme et une femme qui se frôlent pour mieux s'éloigner. Cette fois, pourtant, le destin de Marguerite Muir – dentiste et pilote de Spitfire – et de Georges Palet – la soixantaine oisive, replié sur un lourd secret – sera irrémédiablement commun et aérien, à la faveur d'un entrebâillement incongru. Comme une éducation sentimentale trop tardive, la folie amoureuse qui prend ces deux-là est vouée au désastre. Leur improbable rencontre, puis la force de leur attraction constituent le nœud d'une histoire dont le vol serait le tempo majeur, l'argument, la tonalité.
Ce roman est en effet construit comme un exercice de haute voltige – en huit phases correspondant aux procédures de vérifications avant décollage. Gailly procède au réglage de ses phrases, choisit avec précision les mots pour dire la passion et, s'il se laisse enfin aller à l'émotion, il tient fermement, du haut de son cockpit, les manettes du style. C'est là que gît, pour ce disciple de Flaubert, l'ultime jubilation. Comme Gustave, Gailly rêve en effet d'un livre qui ne serait fait que de phrases, tordues jusqu'à épuisement du sens.
En Gailly, l'ancien saxophoniste s'applique à maintenir la colonne d'air qui insuffle à ses romans un rythme fait de variations et de répétitions, et conférera à sa phrase cette scansion si particulière. Ce jeu formel structure ses récits, mais c'est aussi à l'intérieur de cette construction musicale qu'il trouve une forme de liberté. Car, si décrire est pour lui “ fuguer dans une impasse ”, ce dernier roman confirme qu'il manie l'art du contrepoint avec brio et juste ce qu'il faut d'ironie. »

 




Toutes les parutions de l'année en cours
 

Les parutions classées par année