Le sens commun


Patrick Champagne

Faire l’opinion

Le nouveau jeu politique


1990
Collection Le sens commun , 320 pages
ISBN : 9782707313591
24.35 €


On assiste dans les régimes démocratiques à une différenciation croissante du champ politique et au développement de nouvelles catégories d’agents commentateurs politiques, politologues, sondeurs, spécialistes en communication, etc., qui, avec leurs intérêts propres, participent désormais directement au jeu politique. On considère généralement que les moyens modernes de communication (la télévision, notamment), qui informent de mieux en mieux les “citoyens”, ainsi que les technologies importées des sciences sociales (comme les enquêtes d’opinion), qui permettent de mieux connaître la “ volonté populaire ”, constituent autant de progrès pour la démocratie. L’analyse sociologique de la pratique des sondages d’opinion, des débats politiques à la télévision et des manifestations de rue montre qu’en fait, s’il y a progrès, c’est surtout dans la sophistication croissante des “ technologies sociales ” visant à faire croire que l’on donne la parole au peuple. Paradoxalement, en effet, le champ politique tend à se refermer sur lui-même, le jeu politique étant de plus en plus une affaire de spécialistes qui, à travers notamment les sondages, prétendent “ faire parler le peuple ”, mais le font en réalité à la manière du ventriloque qui prête sa voix à ses marionnettes. L’idéal démocratique est sans doute moins menacé aujourd’hui par le totalitarisme que par une sorte de démagogie savante d’autant plus dangereuse qu’elle a formellement toutes les apparences de la démocratie.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

Introduction : Une manifestation exemplaire – Les usages politiques des sondages – La politique comme lutte symbolique – L’effondrement de la croyance – La différenciation du champ politique – La définition légitime de la politique – Analyse de cas.

1 : L’invention des modes légitimes d’expression de l’« opinion publique » – Genèse sociale de l’« opinion publique » – La manifestation comme nouveau mode d’expression de l’opinion publique – De la foule aux « publics » – L’« opinion publique » comme artefact – « Opinion publique » et banalisation de la manifestation – Groupes de pression et « Opinion publique » – L’opinion publique : une « illusion bien fondée ».

2 : L’opinion publique des politologues – Les sondages préélectoraux – Un transfert illégitime d’autorité scientifique – Une « science pour l’action » – Les difficultés de l’enquête par questionnaire – L’effet d’imposition des questions – Opinions individuelles ou opinion « publique » – Des modes d’existence de l’« opinion publique ».

3 : Les effets de la croyance – La consécration des sondages – Les intérêts des journalistes aux sondages – Les sondages contre les politiques – Les « prestations » médiatiques – La vision politologique de la politique – Un débat exemplaire – Une lutte symbolique – L’effet de verdict.

4 : Manifestations de la « base » – Les sondages contre – Les institutions – Les manifestations : rites ou stratégies ? – Des groupes en représentation – Représentation et représentativité – Représentations de journalistes – Les manifestations « pour » journalistes – Le « capital médiatique » – Le « tribunal » de l’opinion – Groupes réels et acteurs collectifs – Les manifestations « médiatiques ».

Conclusion – Science et politique – Une domination « généralisée » – Annexe 1 : De l’« opinion sociale » à l’« opinion publique » : l’exemple de l’URSS – Annexe 2 : « L’heure de vérité » : une émission politique très « représentative » – Index.

ISBN
PDF : 9782707328809
ePub : 9782707328793

Prix : 11.99 €

En savoir plus

André Laurens (Le Monde, 5 novembre 1990)

Voir les choses autrement
 
« Il arrive que la chronique politique ne se suffise pas à elle-même, parce qu’elle laisse trop de choses dans le flou, parce qu’elle parait artificielle, faussée, si loin de la réalité ou de nos illusions. Cela arrive et, sauf à se laisser aller au découragement, il faut alors tenter d’approcher la politique par d’autre voies, de l’examiner avec un autre regard. Or voici qu’un guide se propose pour ce genre d’excursion.
Patrick Champagne s’intéresse aux changements récents qui, plus ou moins insidieusement, ont affecté l’espace politique.
Selon lui, derrière le concept à la mode d’opinion publique “ s’impose un nouvel espace social, dominé par un certain nombre d’agents – les marchands de sondages, les politologues, les conseillers en communication et en marketing, les journalistes, etc., qui utilisent des technologies modernes comme l’enquête par sondage, le Minitel, les ordinateurs, la radio et la télévision, etc., et donnent par là une existence politique autonome à une « opinion publique » qu’ils ont eux-mêmes fabriquée, en faisant simplement profession de l’analyser et de la manipuler, transformant du même coup profondément l’activité politique telle qu’elle se donne à voir à la télévision et telle qu’elle peut être vécue par les hommes politiques eux-mêmes ”.
L’auteur s’emploie à étayer ce jugement en se fondant sur deux aspects marquants de ce qu’il considère comme une dégradation de la démocratie (en ce qu’elle serait confisquée par quelques-uns au lieu d’être laissée à la disposition de tous) : la pratique des sondages et la médiatisation des manifestations de rue, de plus en plus conçues en fonction de leur impact sur l’opinion à travers le relais des médias. II avance en sociologue sur un terrain miné par les sciences sociales puisque les changements qu’il observe empruntent beaucoup aux techniques que celles-ci mettent en œuvre. C’est évident pour les sondages, le danger provenant d’une confusion possible et entretenue, car on leur prête un crédit scientifique qu’ils ne méritent pas toujours.
Patrick Champagne dénonce le “ transfert illégitime d’autorité scientifiques ” qui s’opère sous la couverture des enquêtes d’opinion, lesquelles, selon lui, ne rendent compte, avec la prétention de l’objectivité, que des objets qu’elles fabriquent. Leurs défauts majeurs sont, explique-t-il, de produire des questions que les acteurs intéressés du jeu politique leur demandent de poser, de créer des situations qui n’existent pas dans la réalité politique, de recenser plus des comportements que des jugements, de réduire le champ politique au lieu de l’ouvrir et d’appauvrir le jeu démocratique en l’orientant vers la séduction, le primat à la demande, la démagogie, voire le cynisme et le “ bidonnage ”, si l’on va jusqu’à “ piéger ” les électeurs sous prétexte de les comprendre ou de les informer.
Le petit monde de la communication et de la politique – y compris Le Monde – se reconnaîtra dans ce tableau critique et serait bien inspiré d’en tirer des leçons de modestie et de prudence. Il importe, en effet, d’éviter les empiètements de frontières et les abus de compétence. La politique ne saurait se prévaloir de la connaissance scientifique qu’elle aurait d’elle-même mais, réciproquement, la science ne saurait répondre au besoin éternel, pressé, permanent, congénital, que la politique éprouve de se nourrir de sa propre substance, fût-ce en la fabriquant.
Patrick Champagne ne s’y trompe pas. Après avoir noté : “ En politique, les apparences donnent toujours raison aux apparences puisque réussir à faire croire contribue à faire exister ”, il ajoute : “ L’analyse sociologique doit aider à faire voir autrement les choses qui nous sont souvent trop familières pour qu’on le voie vraiment et essayer de faire découvrir le jeu politique, comme de l’extérieur. ” De ce point de vue, son exercice de “ désaccoutumance ” est revitalisant. »

Didier Éribon (Le Nouvel Observateur, 13 décembre 1990)

Un sociologue dévoile les règles du jeu politique
L’invention de l’opinion
Et si la multiplication des sondages était une manière de déposséder le citoyen du droit à la parole ?
 
« Il est des livres qui viennent à point nommé pour apporter une bouffée d’oxygène à des lecteurs menacés d’asphyxie. Celui de Patrick Champagne est de ceux-là, car il réussit à dépasser les constats rabâchés sur la grande misère du débat politique aujourd’hui et sait décrypter les évolutions profondes qui l’ont produite. Champagne a installé son chevalet à la marge du paysage politique et il brosse, touche par touche, le tableau d’une scène étrange, où les acteurs sont les hommes politiques, les journalistes spécialisés, les experts mobilisés par les instituts de sondage. Bref, tous les dépositaires exclusifs et patentés du droit à la parole sur les problèmes de société.
Champagne décrit l’histoire d’une dépossession. Il cherche à comprendre comment le jeu démocratique est parvenu à exclure du débat politique les citoyens ordinaires, et comment cette exclusion s’est opérée sous couvert de la toute-puissance accordée à une nouvelle divinité : l’opinion publique. La première partie du livre retrace, au cours du XXe siècle, l’histoire de cette notion qui est devenue la référence centrale autour de laquelle s’organise toute la vie politique. Mais comment peut-on mesurer cette opinion publique en dehors des périodes électorales ? Par des sondages, bien sûr. C’est sans doute sur ce thème que le livre de Champagne est le plus corrosif : lorsqu’il montre que les sondages, loin d’être le simple reflet d’une opinion publique préexistante dont ils offriraient la photographie, sont au contraire une technique pour construire cette opinion, l’inventer de manière plus ou moins artefactuelle. Par exemple, en posant à des échantillons représentatifs des questions qui n’ont pas forcément de sens pour ceux qui doivent y répondre, ou, plus profondément encore, qui n’ont pas nécessairement let même sens pour tous les sondés. L’“ opinion ”, c’est donc une addition de réponses hétéroclites à des questions que les gens ne se posent pas, ou pas nécessairement, ou pas en ces termes-là...
Mais, évidemment, cette production de l’“ opinion ” n’est pas une pure fiction. Puisque la logique du processus veut que les journaux et les émissions de télévision répercutent le verdict sous la forme sans appel d’énoncés du genre : “ les Français pensent ”. Ce qui ne manque pas de produire ses effets sur l’action même des hommes politiques, qui se plient à la loi des baromètres et des pourcentages et gèrent leur image et leur discours avec un œil rivé sur les courbes et les graphiques ainsi constitués. Champagne fait rayonner autour du noyau central de ses analyses un certain nombre d’hypothèses fort suggestives qui pourraient expliquer la désaffection des citoyens pour la vie associative ou syndicale. Car ce sont précisément des lieux où l’opinion se forme non pas à partir de moyennes ou de juxtapositions, mais à partir de problèmes réels, formulés dans une langue qui n’a souvent rien à voir avec celle qu’utilisent les politologues. Mais de telles “ opinions ” sont nécessairement parcellaires et partiales, et ne trouvent donc pas leur place dans des questionnaires préfabriqués auxquels il faut répondre par oui ou par non. On comprend ainsi, suggère Patrick Champagne, pourquoi les explosions sociales, les grands mouvements incontrôlés dont les vagues déferlent à intervalles réguliers ne sont jamais prévus par les hommes politiques ni par la méthode des sondages. Pour dire la richesse de ce livre passionnant, il faudrait aussi évoquer les pages sur les manifestations de rue et la façon dont elles se sont transformées pour se plier aux règles du nouveau pouvoir journalistique, sans lequel aucun événement ne saurait exister comme tel. Ou encore mentionner l’art et la manière avec lesquels le sociologue décrit l’ignorance de la réalité du monde politique, tant il est fermé sur lui-même. Oh ! certes, l’ouvrage n’est pas sans défauts : certaines analyses sont moins précises que d’autres, certaines démonstrations moins convaincantes. Mais cela n’a pas beaucoup d’importance. Qu’est-ce qu’un grand livre ? C’est un livre qui modifie le regard que nous portons sur les réalités qui nous entourent. Qui nous apprend à nous défaire des habitudes mentales imposées par des mécanismes sociaux qui ont fini par devenir nos structures de perception. L’essai de Patrick Champagne, on l’a compris, est un livre libérateur. »

 

Poche « Reprise »

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