Le sens commun


Sylvain Maresca

Les Dirigeants paysans


1983
Collection Le sens commun , 312 pages
ISBN : 9782707306517
12.30 €


Les représentants de la paysannerie possèdent généralement des propriétés économiques, culturelles ou sociales peu répandues, qui les distinguent des autres paysans. Autrement dit, ceux qui ont la charge de donner la représentation de la paysannerie sont parmi les moins conformes à la réalité de la paysannerie. La mise en évidence de la distance qui sépare les dirigeants du reste de la paysannerie est indispensable pour rendre compte de leur action à la tête des organisations professionnelles et de ses effets sélectifs. Mais comment des agriculteurs aussi distingués parviennent-ils à s’imposer comme représentatifs de la paysannerie ? Comment s’établit l’équilibre entre ce qui les distingue et ce qui les rapproche des agriculteurs ?
Pour comprendre cet alliage complexe de distinction et de représentativité, il faut déterminer comment sont sélectionnés les représentants agricoles, comment se produit leur image officielle et comment s’impose leurs discours sur l’agriculture, bref, il faut ressaisir, dans un cas hautement significatif, la logique des mécanismes de délégation.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

Introduction : Des structures et des hommes

Première partie : Distinction et représentativité.
Avant-propos : Questions de méthode – Chapitre 1. Propriétés sociales des dirigeants agricoles – Chapitre 2. La représentativité des dirigeants – Chapitre 3. Les ressorts d’une carrière de dirigeant

Deuxième partie : Les élites locales.
Chapitre 1. Grandeur et permanence des grandes familles paysannes. Histoire sociale des organisations agricoles en Meurthe-et-Moselle – Chapitre 2. L’unité syndicale impossible. Les conflits dans la représentation des agriculteurs charentais

Troisième partie : La représentation de la paysannerie.
Chapitre 1. Un travail de représentation – Chapitre 2. Le champ des représentations de la paysannerie

Conclusion : Le paysan d’élection 

Didier Éribon (Libération, 14 septembre 1983)

Les dirigeants paysans à la loupe
Des cours de fermes lorraines aux salles tranquilles des archives charentaises, un jeune chercheur a enquêté sur les  dirigeants paysans . Comment devient-on le porte-parole d’une classe sociale ? Le travail d’une nouvelle génération de sociologues.
 
 (…) Dès les premières pages, Maresca prend soin de découper avec précision le domaine de sa recherche. Son livre parlera des syndicalistes paysans et ne parlera que d’eux. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Il ne nous propose pas une microsociologie qui se contenterait d’observer à la loupe un secteur délimité pour en fournir une description quasi photographique. Cette enquête, ce long périple de plusieurs années dans le monde paysan, dans les sphères syndicales, toutes ces rencontres avec les “ dirigeants ” d’organisations agricoles, Maresca les avait entreprises avec une idée derrière la tête : comprendre comment, s’opère la délégation de pouvoir par laquelle quelques individus d’une classe sociale se transmuent en porte-parole de tous les autres. Comment se font-ils reconnaître comme tels par ceux pour qui ils parlent ; par ceux à qui ils parlent. Au bout du compte, qu’est-ce qu’un “ représentant ” ? On l’aura compris : le titre du livre ne semblait guère attirant, mais l’ouvrage est passionnant du début jusqu’à la fin.
Au point de départ, après une première série d’analyses, cette constatation qui va tisser la trame énigmatique de tout le livre : les “ dirigeants paysans ” ressemblent très peu aux autres paysans. Ils sont beaucoup plus aisés, leurs activités professionnelles s’exercent et continuent de s’exercer malgré leurs mandats, dans les secteurs les plus modernes, leurs entreprises se caractérisent la plupart du temps par cette “ excellence professionnelle ” qui force le respect de l’admiration. D’autres “ propriétés ” encore les distinguent : ils appartiennent souvent à de vieilles familles de notables ou d’élus ; ils ont fréquenté le système scolaire ou des activités para-scolaires beaucoup plus longuement...
Ce résultat, commente Maresca, n’est pas surprenant. La règle vaut pour tous les milieux professionnels : les “ représentants ” sont plutôt ceux qui se “ distinguent ”. Et toutes ces caractéristiques sont peut-être des conditions nécessaires pour pouvoir “prendre des responsabilités” syndicales dans une organisation agricole. Mais la question rebondit : comment des agriculteurs aussi différents “ parviennent-ils à s’imposer comme représentatifs de la paysannerie ? ” Et “ comment réussissent-ils à se distinguer sans se couper de ceux qui les mandatent ? ”.
Pour rassembler les éléments de la réponse, Maresca s’est plongé dans les archives départementales de la Meurthe-et-Moselle et de la Charente afin d’explorer méthodiquement l’histoire des organisations paysannes et de leurs militants ; il a rencontré les actuels “ dirigeants ” pour retracer avec eux leurs itinéraires authentiques, loin des fiches biographiques stéréotypées. Il a voulu “ crever l’écran des représentations officielles pour tenter d’atteindre l’identité réelle des organisations et de leurs dirigeants ”. Il est bien évidemment impossible de rendre compte dans toute leur richesse et leur densité des analyses, des remarques et des aperçus proposés par un livre aussi foisonnant d’intuitions neuves. Il faudrait surtout citer le long chapitre où Maresca met en scène le “ travail de présentation ” déployé par les “ dirigeants ” pour donner de la paysannerie une image valorisée et moderniste. Pour donner cette image aux autres catégories sociales, certes. Mais la donner avant tout aux paysans eux-mêmes. La “ représentation ” opère ici comme une véritable imposition de normes. “ La représentativité, écrit l’auteur, est davantage la conformité à une norme que la ressemblance à une réalité ”. Mais d’où vient cette norme ? Existe-t-il une instance suffisamment forte pour la définir et la faire valoir ? Aucune, si ce n’est l’évolution historique de la profession d’agriculteur elle-même. La norme n’est pas la réalité ; elle est l’avenir de la paysannerie. L’on comprend dès lors pourquoi tout semblait désigner les “ élus ” à devenir des “ responsables ” ; leur passé individuel, familial, professionnel les constituaient en une préfiguration du futur de la profession, hommes tournés vers l’avant, vers le progrès et le modernisme : “ La représentativité des principaux porte-parole de l’agriculture n’est qu’une normalité à venir et leur distinction tient pour partie à ce qu’ils sont représentatifs des principaux types du paysan d’avenir ”.
En refermant l’ouvrage, on se prend à rêver de pouvoir lire un jour une série d’études similaires sur d’autres sphères de la société et dont l’ensemble s’organiserait en une gigantesque fresque composée de “ scènes de la vie française ”. Une sorte de Comédie humaine, version sciences sociales. 

 




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